Ce soir, j'ai fait quelque-chose que je n'avais pas fait depuis très longtemps. J'ai coiffé ma tignasse. Longuement. Si longuement que mes cheveux se sont chargés d'électricité au fur et à mesure que leurs boucles et nœuds naturels se défaisaient sous les coups de la brosse.

Neuve. C'est ma maman qui me l'a donnée, il y a bien des mois de cela. Peut-être quelques années même, car son emballage était rempli de tant de poussière qu'on aurait dit du coton au toucher.  Je ne me souviens plus quand, mais je revois vaguement ce moment dans ma mémoire.

Je me demande ce qui avait impulsé son geste. Cette question m'avait déjà effleuré l'esprit alors, mais je ne m'étais pas attardée dessus. Comme je ne prenais pas le courage de regarder tout le reste d'ailleurs. Depuis combien de temps cela dure-t-il ?

J'ai observé mon visage tout à l'heure. Je n'y ai pas vu ma personne. Tout ce qui j'y ai reconnu, c'est ce truc (se) reflétant dans mon regard. Tout ce qu'il reste de moi, c’est ce truc au fond de mes yeux. Miroir, Ô mon p'tit miroir joli encerclé de bois me tombant pile-poil en pleine poire, dis-moi qui je suis !? Qui est-elle ? Cette perdue qui me scrute à travers toi ?

Dans mon ancienne maison, il était placé beaucoup trop haut pour moi, le miroir. Si bien que je n'avais plus croisé mon reflet depuis des lustres. Je n'ai pas suivi le temps pendant qu'il faisait son œuvre au jour le jour. Je ne me suis pas vue prendre une décennie.

Ce soir, je l'ai découverte dans ses détails, ma gueule de quarantenaire larguée dans tous les sens du terme. Mes cheveux gris sont majoritaires, ou presque, sur les bruns. Comme il y a bien plus de questions que de réponses dans ma tête. Le contour marqué de mes yeux cernés vire au violet tendant vers le noir. Un peu comme mes pensées et mes idées. Mes joues tombent. Comme moi.


Je l'avais déjà aperçu samedi dernier, dans la nuit. Il n'y avait aucun bruit. Je sortais d'une douche. Luxueuse, elle avait été. Dans une pièce chaude, avec un grand pommeau et un puissant jet d'eau. Il ne manquait qu'une assise pour atteindre la perfection et pouvoir en profiter pleinement. Assaillie de douleurs à n'en plus tenir debout, j'en étais sortie rapidement.

Ce jour-là, j'étais éreintée et toute cassée par mon déménagement. Le plus gros était fait, après deux trajets consécutifs à une matinée de douloureux efforts physiques et moraux dont je ne saurais dire lesquels des deux étaient les plus difficiles à supporter. Et finalement, un après-midi du même acabit, d'ailleurs.

C'était un de ces moments charniers de sa vie qui nous filent entre les sens et pourtant les impacte à tout jamais. Une de ces épreuves qui te détruisent, pour le meilleur ou pour le pire. Sur les épaves desquelles tu te reconstruis. Ou pas.


Et puis, le temps est passé très vite, ensuite. Dimanche, j'ai joué à une sorte de Tétris en agençant le mobilier et en déballant mes cartons de cuisine. Lundi, je suis allée récupérer d'autres affaires transportables seule. C'était terrible de retourner là-bas. La maison m'a parue glauque, je m'y sentais tellement mal que j'ai fini par la piller. C'est-à-dire prendre l'essentiel à la hâte, laisser le reste en vrac et m'enfuir.

J'ai fait un saut chez mon mari, qui ne l'est plus dans les faits, avec comme une sorte d'appréhension de dernière fois. Pourtant, ce n'était pas le cas, à-priori. Il a insisté pour que je reste dîner avec lui. Nous avons partagé son plat improvisé et une soirée qui se sont avérés tous deux amèrement délicieux...

Mardi, j'ai à peu près réussi à dormir, déchargé ma voiture, rangé les choses urgentes et fait mes premières courses dans un des supermarchés du coin qui, bonne surprise, a une appréciable offre végétarienne. Aujourd'hui, mercredi, avec mon père et mon frère nous sommes retournés chercher tout mon univers de papier.

Cinq jours dans une parenthèse entremêlée d'enthousiasme, voire une certaine excitation, et beaucoup d'angoisses, beaucoup. C'est maintenant, demain, que ma nouvelle vie va vraiment commencer. Concrètement. Enfin, un après-demain...